Je suis arrivée au Kerala le 10 janvier, à 5h du matin, après trois ans d’absence. Ce retour, je n’avais pas osé y rêver. Dans la nuit, l’odeur d’humidité m’a attrapée dès la sortie de l’aéroport et je me suis sentie enveloppée par une nuée de douceur et de protection.
J’ai eu quelques minutes pour goûter cet air que j’aime tant, cet air saturé d’humidité. Quelques taxis sont venus me demander si j’allais à tel ou tel hôtel, le sourire aux lèvres. Je n’avais pas dormi la nuit d’avant, je n’avais pas dormi dans l’avion : tout était ouaté en moi et autour.
Puis l’ami est arrivé, chemise jaune se détachant dans l’obscurité. La joie, sans s’approcher vraiment, la retenue et ces trois ans, où nous nous sommes tant manqués. Retrouver nos voix, nos gestes.
Sur la route vers le village, nous nous arrêtons à un tea shop qui ouvre à l’aube. Le thé brûle. D’habitude je le prends noir, mais ce premier thé se doit d’être un vrai thé de Keralaise : au lait, sucré. Nous le partageons en silence. A la table d’à côté, une discussion commence. Premiers mots de Malayalam entendus. Oh… je suis rentrée !
Nous arrivons chez lui où je retrouve les femmes, Amma (Maman en Malyalam), S. et sa fille A. Il est 6h du matin : c’est la bonne heure, la chaleur n’est pas étouffante. Le jour vient de se lever, la lumière est vibrante. Je m’assoies sur la terrasse et le rythme de mon corps change. Il s’accorde au mouvement de la brise.
Un oiseau vient chanter tout près de la maison. « Je t’avais oublié, toi et ton chant encore plus moqueur que celui du merle. » Ce chant, que je n’ai entendu nulle part ailleurs, sonne comme un « bienvenue ».
Ma peau s’ouvre
La journée se déploie et ma peau devient poreuse. Le petit déjeuner est fait de dosha (des crêpes de riz) avec un chutney tout frais. Ma langue est fouettée par le piquant de la sauce, mes doigts collent. Je retrouve toutes les saveurs de la cuisine faite maison. Amma ce jour-là me sert tous les plats que je préfère. Elle se souvient de tout.
Je prends une douche froide ou plutôt je me baigne, utilisant un petit récipient pour verser l’eau d’une bassine.C’est comme ça comme se lave ici et qu’on économise l’eau. Je mets une robe légère et je pars vers la mer. Les épices ont fait monté la température de mon corps et malgré la douche, je transpire au bout de quelques pas. J’aime cette sensation. J’ai l’impression que a peau est en train de s’accorder à l’air.
Accueillie
Je connais le chemin de l’océan par cœur. Je constate les changements. J’arrive près du temple où se dresse maintenant une imposante statue de Siva. La dernière fois elle était en construction.
Je m’approche du bord pour surplomber l’océan. Ce soir avec A. nous irons marcher toute habillées dans l’océan et nous attendrons que le soleil soit avalé par les eaux. Nager n’est pas vraiment une habitude par ici. J’attends que A. rentre de l’école. Le lit m’attend pour une sieste. Je suis arrivée à bon port. Enfin, je peux dormir.
Alors que je m’apprête à retourner, je croise une bande de corbeaux qui se tiennent coi et me jettent des regards en coin. On s’observe un long moment. Ils ne parlent pas. Ce n’est pas si souvent que des corbeaux se taisent ! A mi-voix je les remercie de m’avoir, eux aussi, accueillie.
Ce sont les derniers jours de l’année. Alors je prends du temps pour tamiser les expériences vécues. Avec la joie d’une chercheuse d’or, je découvre les pépites qui ont illuminé ma vie.
J’oublie souvent que chaque jour recèle des pépites de joie, même dans les situations sombres.
« Chaque jour est un bon jour » pour se réjouir, apprendre, faire un pas vers soi, les autres, s’abandonner à la vie et créer à partir de ce matériau (é)mouvant.
Chaque jour est un bon jour est une expression japonaise.
J’ai la liberté de danser, d’écrire et je la saisis. Et je me sens chanceuse de contribuer à transmettre les élans et les audaces de la création à des enfants.
Car au-delà des processus et de la méthode, il y a ce geste crucial : celui des oiseaux qui ouvrent leurs ailes pour se lancer dans le vide.
Pas sages
Cette année, j’ai accompagné des enfants de maternelle vers la danse. C’était au printemps, en Essonne, avec le soutien de la Compagnie Un soir ailleurs et du Silo.
Alors que les enfants s’ouvraient à la présence des fleurs de coquelicot par les sens, par le mouvement et grâce aux mots, ils déployaient des trésors d’invention, d’ingéniosité.
Ecoutez-les animer une émission sur le bien-être pour la radio web du collège ! Écoutez leur vivacité, leur ardeur, leur précision. Deux élèves m’ont interviewée pour cette émission (à écouter à partir de la 23ème minute) et c’était un grand plaisir de participer, un grand plaisir de les voir mener la danse.
Bravo à tous et toutes, à leur professeure Marie Courtecuisse et à Thomas Moreau de Radio Gâtine. Bon passage vers la nouvelle année !
Il y a un an, Georges, le vieux tigre du zoo de Thiruvananthapuram (Trivandrum) au Kerala, s’envolait vers d’autres horizons. Il me laissait orpheline après deux ans où j’avais pris de ses nouvelles au fil des semaines et des mois. En effet, grâce au vétérinaire en chef du zoo, le docteur Jacob Alexander, j’avais pu suivre la vie quotidienne du zoo et écrire pour tenter d’apprivoiser les pensées du tigre sauvage devenu animal de zoo.
Lorsque Georges est décédé c’était Noël… je me souviens d’avoir été envahie de tristesse, comme si ce parcours d’écriture avait créé une intimité entre nous. Je me souviens des conversations avec le docteur Alexander et notre désir commun de célébrer Georges et la vie sauvage.
le voyage de Georges cette année
Très vite l’idée de faire voyager Georges, devenu esprit, à travers le monde nous est venu à l’esprit. Grâce à aGathe Cardona, cela est devenu réalité : Georges est devenu le héros du jeu TROUVER GEORGES qu’aGathe a inventé. Puis la Compagnie Un soir ailleurs a porté le jeu auprès du public. Alors qu’à peine quatre mille tigres vivent en liberté sur la planète selon le WWF, célébrer la vie libre et sauvage nous a semblé vital à tous.tes.
Une belle participation !
Pendant 6 mois, de mai à octobre 22, toute personne qui le souhaitait a pu photographier Georges dans le paysage de son choix et mettre en valeur son « bout du monde » à travers les publications de la Compagnie Un soir ailleurs sur les réseaux sociaux. Plus de 400 photos ont été envoyées par une centaine de participant.es. Et Georges a circulé en France, au Kerala, au Canada et en Tunisie ! Merci à tous et toutes !
Dix photos distinguées !
Touché.es par cette participation, nous avons décidé de remettre dix prix pour distinguer des photos et en cette période de Noël, d’offrir « L’histoire de Georges », le livre que j’ai écrit.
Tous les partenaires du projet depuis 2020 ont accepté de jouer le jeu et je les en remercie de tout cœur : il y aura donc le prix de l’autrice, du traducteur, du vétérinaire du zoo, de l’éditrice, de la créatrice du jeu, de la Compagnie Un soir ailleurs, de l’Alliance Française de Trivandrum, du réseau des médiathèques de Parthenay. Et il y aura aussi deux prix spéciaux créés par deux poètes, Coline Marescaux et Marien Guillé. Il et elle vont offrir un poème inédit écrit pour la photo de Georges qui les a touchés. Suivez l’annonce des photos primées sur Facebook et Instagram !
Il s’agit d’un dispositif de soutien aux auteur.es du CNL-Centre National du Livre : je reçois une bourse du CNL pour mon projet d’écriture et le cycle d’atelier que j’anime avec une classe, l’équipe du collège m’accueille dans ses locaux et donne une visibilité à mon travail d’auteure.
à la campagne
Thénezay est un village des Deux-Sèvres entouré de bois. Le collège donne sur des champs. Il y a un petit jardin dans l’enceinte du collège où les végétaux sont en liberté, seulement guidés, pour pouvoir être observés. On y trouve un hôtel à insectes, une mare… tout ce qu’il faut pour que les animaux des alentours s’y sentent bien.
Je suis accueillie dans la classe de 6ème Newton dont la professeure principale est Marie Courtecuisse. Nous nous connaissons car, il y a deux ans, en plein confinements, Marie prenait le pari de suivre mon travail d’écriture en cours de L’Histoire de Georges, que je publiais sur internet. Nous venons de célébrer les deux ans et demi de ce projet sur la Communauté de Communes de Parthenay-Gâtine ! Je publierai très prochainement un article en forme de rétrospective mais voici en mise en bouche, la belle proposition que Marie a réalisé avec sa classe en 2020-2021.
écrire
Cette année, avec ses élèves, pour guider l’écriture, nous avons deux maîtres-mots : « point de vue » et « relation ». J’accompagne la classe vers l’appropriation de ces notions. Dans leurs écrits, les élèves tentent de se mettre à la place de ce grand A U T R E qu’est l’animal. Marie nous a proposé une entrée en matière intime et sensible. Car Marie a rencontré une pie. Rencontre de hasard… Mais qui a dit que le hasard existait ? Pendant 5 mois, Marie a appris à connaître une pie et elle nous a invités dans l’intimité de cette découverte mutuelle.
Cet événement, la rencontre avec un animal non domestiqué, a posé les fondations de l’atelier en donnant un cadre fort, émotionnel, réel où inscrire nos histoires inventées. Les élèves ont été investis immédiatement dans l’écriture et sont entrés de plein pied dans le sens de « la relation ».
Je cherche à leur transmettre comment « écrire avec le réel ». En effet, pour écrire avec les animaux, nous exerçons un va-et-vient constant entre observation et imagination. Nous exerçons notre curiosité, devenons experts de l’animal choisi et cherchons même à nous relier à cet être-là, en pensée, à imaginer ses perceptions (nous avons même essayé la méditation guidée !).
notre horizon
Écrire pour la radio web que le collège vient de créer. Bientôt les récits d’animaux prendrons corps à travers les voix des élèves. Humour et fantaisie seront au rendez-vous.
Ce 3 octobre, j’ai commencé une « résidence à l’école » au Collège de Thénezay dans les Deux-Sèvres, car, pour ma plus grande joie, j’ai reçu une bourse d’écriture du CNL (Centre National du Livre). Je peux ainsi poursuivre mon travail d’écriture sur les animaux et mener un atelier d’écriture créative avec des élèves sur le même sujet ! Je suis les animaux où qu’ils se trouvent depuis longtemps… mais c’est la première fois que je vais emmener un groupe sur leur piste.
Les animaux m’entourent : dans la réalité, dans mes rêves… A force, ils se sont glissés dans mes fictions. Chaque jour ils m’enseignent. Ils m’enseignent sans parler, par leur posture, leurs comportements. Ils m’enseignent avec constance, avec la sobriété, la force, la souplesse des maîtres de Tai Qi. Et parfois leur ruse amusée. La présence des animaux est à la fois fugace et répétée. Ils jouent avec mes sens et avec mes certitudes. Je parle des animaux familiers mais aussi des animaux sauvages, de tous ceux qui ne sont pas domestiqués : oiseaux, écureuils, chevreuils, vaches (domestiques, les vaches? ça dépend de leurs conditions de vie, de leur « culture »). Mais aussi lézards, serpents, insectes et tant d’autres qui habitent là, juste à côté de moi, à côté de nous.
Lorsque je crois les saisir, ils se sauvent. Me voici les mains vides et la pensée confuse. Une toute petite voix me souffle alors : « Patiente. Observe. Ou mieux, infuse ! » Mais comment infuser avec une classe ?
Ce 3 octobre, à Thénezay, j’ai rencontré les élèves de la 6ème Newton accompagné.es de leur professeure Marie Courtecuisse, que je connais par le magnifique travail pédagogique qu’elle a réalisé en 2020 sur L’Histoire de Georges alors en cours d’écriture.
C’est par une lecture de L’Histoire de Georges que j’ai introduit nos séances d’écriture. Le héros du récit est un tigre, Georges, et le narrateur – une pie. Oui, dans ce texte, les animaux s’expriment en utilisant nos mots mais non, ce n’est pas d’une fable et les animaux n’y représentent pas des humains. Ils prennent la parole en leur nom. D’ailleurs ils existent ces animaux-là : nous nous sommes vus, nous sommes entrés en relation.
Ce 3 octobre, avec les enfants, on parle de changer de point de vue. On découvre que c’est une pratique de déconstruction. C’est bouger les habitudes de pensées comme on bouge des meubles. C’est se mettre dans le corps de l’autre, dans sa compréhension du monde à travers son corps. On découvre que c’est ardu de se mettre à la place de l’autre, quasi impossible. Alors on appelle l’imagination à la rescousse, la poésie aussi – si puissante pour trouver un langage à l’inconnu – et l’humour qui nous sauve de tout, toujours.
Ce 3 octobre, avec les Newtons du collège de Thénezay, après les présentations d’usage, nous allons dans le jardin. Le collège a un jardin qui pousse en toute liberté, c’est une chance ! Nous allons pouvoir écrire à partir du réel : le monde est là, à portée de mains, à portée de mots.